"Petit Poucet rêveur... un pied près de mon coeur"



"Tout est signe, et tout signe est message", Proust




Objet d’étude : LA POESIE


(en perspective croisée avec l'argumentation, les mouvement littéraires, le théâtre et le roman).


La « conglobation » : elle participe de la dramaturgie (herménique, heuristique et épistémologique)

« Les mots s’allument de reflets réciproques», Mallarmé

"La Conglobation, que l'on appelle encore Enumération, Accumulation, est une figure par laquelle, au lieu d'un trait simple et unique sur le même sujet, on en réunit, sous un seul point de vue, un plus ou moins grand nombre, d'où résulte un tableau plus ou moins riche, plus ou moins étendu." Pierre Fontanier, Les Figures du discours (L'emphase)

La « conglobation » est une figure à retardement. Elle ressortit à l’ « inventio » et à la « dispositio »*. Elle repose sur tout un dispositif argumentatif sous-tendu implicitement par de nombreuses figures, un ensemble de détails composites qui ne prennent tout leur sens qu’au regard d’une information clef dont la révélation a été retardée au maximum pour intriguer (exemple : « Le Dormeur du val » de Rimbaud).

La « conglobation » qui est « inventio » et « dispositio » caractérise tous les textes « poétiques » qui invitent à une double lecture.

* la « dispositio » : est l’art de la mise en scène (voire de la mise en page) du texte, l’art de provoquer le maximum d’effet avec un minimum de moyens … (apparents), l’art de faire valoir un effet à un moment voulu, l’art de l’intrigue (suspens), de la mise en scène et du coup de théâtre…

"Intelligenti pauca"


Tout texte « poétique » qui induit une démarche active de son lecteur amené à faire « la moitié du chemin », à décrypter les signes selon la méthode d’une enquête herméneutique, à traduire l’implicite à partir de constats classés et ordonnés par faisceaux est sous-tendu par cette figure : la « conglobation ».



Complément à la correction de la réponse à la question sur le corpus : les fonctions du poète et de la poésie

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Entraînement aux EAF :

La conglobation invite à une double lecture de ces poèmes.

« On construit un poème comme une machine », Edgar Poe (traduit par Baudelaire)


Question d'observation :
Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Comparez les situations d’énonciation de ces cinq poèmes et analysez les procédés d’écriture pour observer comment chacun exprime une des fonctions de la poésie et du poète.
Vous répondrez brièvement à cette question après avoir présenté l’ensemble des poèmes de ce groupement et annoncé le thème qui les unit.
Vous penserez à proposer une conclusion.


Textes :
Texte 1 : Joachim du Bellay, « Heureux qui comme Ulysse », Les Regrets, 1558
Texte 2 : Pierre de Ronsard, « Mignonne, allons voir si la rose », Quatre Premiers Livres des odes, 1550
Texte 3 : Victor Hugo, « Demain dès l’aube » (3 septembre 1847), Les Contemplations, 1856.
Texte 4 : Charles Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du mal », 1857.
Texte 5 : Arthur Rimbaud, « Le Dormeur du val » (octobre), Poésies, 1870.
Document annexe : Jean-Paul Sartre (1905-1980), "Qu’est-ce que la littérature ? », 1948.



Les cinq poèmes à forme fixe de ce corpus présenté chronologiquement se caractérisent par un appel à la double lecture. Cet effet de double thématique dramaturgique est induit par une figure d'emphase : la conglobation qui induit une mise en scène, favorise, les effets de chutes et de coups de théâtre.


De ces cinq poèmes à formes fixes, deux seulement sont des sonnets : « Heureux qui comme Ulysse » de Joachim Du Bellay et « Le Dormeur du val » d’Arthur Rimbaud.

« Mignonne allons voir si la rose » de Ronsard est une ode, « Demain dès l’aube » de Victor Hugo et
« L’Albatros »
de Baudelaire sont des formes proches du sonnet avec les trois quatrains du premier et les quatre de l’autre.

Trois poèmes de ce corpus sont caractérisés par le lyrisme personnel avec une énonciation à la première personne du singulier : les deux poèmes des auteurs de la Pleiade au XVIème siècle et celui du poète romantique du XIXème qui offre un tombeau à sa fille disparue dans Les Contemplations.


Les deux derniers poèmes de ce corpus, "L' Albatros" et "Le Dormeur du val", adoptent une narration impersonnelle pour exprimer chacun une forme d’engagement de l’artiste, l’un à travers une allégorie du poète, l’autre une dénonciation de la guerre, un « tombeau » au jeune soldat inconnu : une forme indirecte de réquisitoire dans les deux cas contre la folie des hommes.


Joachim du Bellay dans « Heureux qui comme Ulysse » exprime au discours direct son regret du pays natal sous forme exclamative et interrogative dans les deux quatrains avant de développer un système de comparaison dépréciatif pour les fastes de la ville antique qui lui a fait quitter son « petit village » dans les deux tercets : le soupir élégiaque et la référence à l’Antiquité du premier vers tournent à une remise en cause systématique du rêve humaniste qui l’a poussé à s’exiler pour découvrir les « Antiquités »… La double thématique du sonnet induit donc un système binaire sous-tendu par un rapport de complémentarité entre les quatrains et les tercets. Ces derniers amorcent toutefois une rupture par le caractère paradoxal du choix du poète humaniste déçu par sa découverte de la ville pontificale et amené à donner la préférence à sa « province » relevée par tout un jeu de possessifs et d’hypochoristiques («petit Liré » , par exemple).

Ronsard dans son ode à Cassandre apostrophe également au discours direct sa « mignonne »
pour l’inviter à admirer une rose. Mais le compliment précieux qui renouvelle le cliché de la comparaison de la femme à une rose s’inverse pour tourner finalement à la leçon épicurienne du « Carpe diem » inspiré d’Horace : le « Carpe florem » injonctif est sous-tendu par tout un jeu dramatique destiné à faire réfléchir sur la fuite du temps. Ainsi, le rythme enlevé de cette ode en 5 actes avec le changement de registre des impératifs contribue à préparer les injonctions finales de ce poème qui se révèle en fait un syllogisme abrégé (ou enthymême) sans ménagement pour la « mignonne » rejetée en fin de vers dans sa conclusion : « Donc, si vous me croyez, mignonne […] Cueillez, cueillez votre jeunesse ». La répétition des impératifs introduits par la conjonction de coordination « donc » souligne le caractère d’urgence de ce conseil trop appuyé pour rester courtois : ce poème argumentatif participe de l’art de convaincre et de persuader. Il relève de l'argumentation directe.

Le narrateur dans « Demain dès l’aube » se met en scène à la première personne. Il semble se rendre à un rendez-vous galant et son empressement se traduit par une succession de verbes d’actions au futur. Il interpelle lui aussi celle qui semble être sa « bien-aimée » : « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps »… Mais le récit de la marche hâtive soulignée par les connecteurs temporels et spatiaux qui témoigne de la progression du narrateur prépare en fait le coup de théâtre final, à partir du 11ème vers : « sur ta tombe ». Le bouquet de ce poème qui pouvait paraître galant se révèle un hommage à Léopoldine, la fille du poète disparue en 1837, un « tombeau » comme « Le Dormeur du val » de Rimbaud.

« L’Albatros » de Baudelaire se présente sous la forme d’une narration à la troisième personne comme le dernier sonnet du corpus, « Le Dormeur du val » de Rimbaud. La mise scène de ce qui ne semble être au début qu’un récit pittoresque de voyage sert en fait de point de départ et de tremplin à une comparaison explicite dans le dernier quatrain : « Le poète est semblable».« Spleen et Idéal » : en exil sur la terre, il se sent seul et incompris. Le poète exprime la révolte orgueilleuse de l’artiste par de nombreuses périphrases laudatives qui ne prennent tout leur sens qu’à partir de la comparaison du dernier quatrain où il explicite les métaphores filées de l’oiseau déchu de sa position dominante : « ce roi de l’azur », « Ce voyageur ailé », « prince des nuées ». Exposé aux moqueries cruelles du « vulgaire », il est rendu vulnérable par les attributs qui lui permettaient l’envol : l’envergure de l’oiseau est soulignée par les enjambements de chaque quatrain composé d’une seule phrase et l’anacoluthe finale qui mime également sa déchéance et son infirmité sur la « scène » du navire par l’harmonie imitative de ce déséquilibre syntaxique :« Exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
L’albatros, grâce à la double thématique de ce poème à forme fixe proche du sonnet, devient le symbole de la condition du poète.

Rimbaud, lui, semble peindre un paysage idyllique qui se révèle en fait un « tombeau » érigé en hommage à une jeune victime de la guerre franco-prussienne de 1870. La « Nature » mise en scène comme dans « Mignonne, allons voir si la rose » et « Demain dès l’aube » de Victor Hugo pourrait paraître au lecteur un lieu idéal pour un rendez-vous galant. Mais l’enchantement de ce « petit val qui mousse de rayons » est étrange : le « trou de verdure » devient de plus en plus suspect avec la présence insolite de cet enfant-soldat qui dort la tête dans l’eau : « la nuque baignant dans le frais cresson bleu ». Le texte est de plus en plus contaminé par des effets destinés à inquiéter le lecteur (enjambements, répétitions : « dort », 3 x ) qui découvre que le seul élément de vie dans ce « tombeau » est la « Nature » personnifiée, une nature en fête trop exubérante, trop enchantée pour que le contraste avec l’inertie du soldat ne devienne pas intolérable, de même que la mise en scène allégorique qui amène la voix narrative à apostropher la mère « Nature » au discours direct pour lui demander de servir de mère à cet enfant sacrifié à la folie meurtrière de ses semblables : « Nature, berce le chaudement : il a froid ». Elle est seule à servir de « lit » au jeune homme ainsi que le révèle l’acrostiche du dernier tercet. La diaphore finale qui reprend et détourne la périphrase initiale sonne comme deux coups de feu dans ce sonnet où les euphémismes (« il dort », « Tranquille ») se révèlent litotes avec le gros plan final sur les blessures du soldat amplifié par l’allitération en « r » : « Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » Les indices macabres disséminés au fil de ce poème dramatique appellent une double lecture.

* la diaphore (ou antanaclase) est la répétition d'un mot dans un sens différent ("trou de verdure", "deux trous rouges") : "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas", Pascal, Les Pensées

La conglobation invite à une double lecture de ces poèmes.

Ces cinq poèmes jouent avec le lecteur provoqué par des effets de rupture (ou de complémentarité) qui l’amènent à une deuxième lecture : ces stratégies du détour induites par une double thématique caractéristique du sonnet s’étend donc ici à d’autres formes fixes comme dans l’ode de Ronsard, ou les poèmes de Victor Hugo et de Baudelaire proches du sonnet.

La « conglobation » ingénieuse de ces formes fixes ( « inventio » et « dispositio ») représente une manière de convoquer l’attention sur des sujets plus graves qu’ils apparaissaient au premier abord puisque tous, qu’ils soient intimistes et de tonalité élégiaque comme ceux de Du Bellay et de Victor Hugo, de registre plus léger comme le badinage amoureux de Ronsard ou d’un symbolisme didactique comme ceux de Baudelaire ou de Rimbaud, s’appuient sur une expérience humaine qui prend une valeur universelle, voire philosophique. Du Bellay dépasse le lyrisme personnel pour donner une leçon de sagesse et de modestie, invitant à se contenter de ce que l’on a, Ronsard sous couvert de badinage courtois fait réfléchir sur la fuite du temps, Hugo avec son rendez-vous avec « sa bien-aimée » sur l’importance du souvenir des êtres chers, Baudelaire à partir d’un souvenir de voyage pittoresque sur le statut du poète malmené par le « vulgaire » et Rimbaud transfigure un petit val débordant de vitalité pour rendre plus intolérable encore la présence insolite et macabre de cet enfant soldat abandonné par les hommes à qui seule la « Nature » offre un tombeau : son sonnet contaminé progressivement par la mort se révèle un chant de révolte sous forme de litote contre la folie meurtrière des hommes incapables de préserver la vie de leurs enfants.

Chacun de ces poèmes, à sa façon, par sa musique et son défi au temps est une « sempervive » destinée à célébrer la vie dans ce qu’elle offre de plus précieux : le lyrisme et l’engagement dans l’aventure humaine de ces 5 poèmes manifestent toutes les fonctions du poète de la poésie : poésie et musique, poésie et engagement, poésie et déchiffrement du monde et de soi (cf. Manuel de français de 1ère, H. Sabbah, Hatier : fiche p. 374).


INVENTION / POESIE :

1. Après avoir composé une anthologie poétique, rédigez une préface pour justifier votre sélection et votre mode de classement.
2. Inventez un poème (forme fixe, en prose ou libérée…) pour exprimer à partir d’un tableau (ou d’une photo) votre propre univers poétique.