LA POESIE : descriptif n° 4
Les fonctions du poète et de la poésie entre tradition et modernité
L’engagement de l’artiste : « Poésie et déchiffrement du monde »
Perspective dominante : genres et registres
Perspectives complémentaires : approche de l’histoire littéraire et culturelle ; réflexion sur l’intertextualité et la singularité des textes.
La séquence, centrée sur les fonctions du poète et de la poésie, l’évolution des formes et le renouvellement de l’imaginaire à partir d’un groupement de poèmes (3 poèmes à formes fixes et 2 poèmes en prose), vise à définir le poétique et la poétique et à inscrire les poèmes étudiées entre tradition et modernité.
L’étude de ce groupement et la lecture cursive complémentaire en œuvre intégrale de « Spleen et Idéal » des Fleurs du mal de Baudelaire, en perspective croisée avec les 5 autres objets d'étude à partir d’une enquête anthropologique sur la place du sujet dans l’histoire des représentations (« l’autre, un sujet en question » ; « Vertige de l’artiste, entre Narcisse et Prométhée ») en lien avec la peinture, visent à situer une œuvre dans un mouvement littéraire et culturel, à discerner continuité et évolution dans les conceptions de la poésie (au sens étymologique de « création »), notamment autour des représentations de la tradition et de la modernité, à former le regard critique et à affirmer l'expression de soi par ses choix esthétiques et la création artistique.
Lectures analytiques : 5 poèmes
Victor Hugo, « Fonction du poète » , Les Rayons et les Ombres », 1840
Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du mal, 1857
Baudelaire, « Le Confiteor de l’Artiste » Petits Poèmes en prose, 1862
Arthur Rimbaud, « Aube », Illuminations, 1886
Alain Bosquet, « Défense du poète », Sonnets pour une fin de siècle, 1980
Lecture cursive complémentaire : Baudelaire, « Spleen et Idéal », Les Fleurs du mal, 1857
et lectures au 3ème trimestre :
– de poèmes de La Pleiade : Les Regrets de Du Bellay; Les Sonnets pour Hélène et Les Amours de Ronsard
– de poèmes extraits des Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris de Baudelaire
– d'extraits des Curiosités esthétiques de Baudelaire
– des Illuminations de Rimbaud
– des Poèmes à Lou et/ou d'Alcools d'Apollinaire
– de La Jeune Parque, de « L'Ange » et extraits des Histoires brisées de Paul Valéry
– d'extraits des Lettres à un jeune poète de Rilke
– d'extraits de romans de poètes : Les cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke, Jean Santeuil et La Recherche du temps perdu de Proust, Dedalus de Joyce.
Activités complémentaires
– Participation à un concours de poésie pour fêter le “Printemps des poètes” (“Ut pictura poesis”, Horace) : composition sous forme de diptyque d’un poème en correspondance avec un tableau (à partir d'un poème choisi) ;
– Composition d’une anthologie poétique et rédaction d’une préface (en perspective croisée avec l'argumentation : préface justificative du choix et du classement des poèmes) ;
– Composition sous forme de diptyque d’un autoportrait en correspondance avec un tableau (un portrait)
– Mise en scène d'un personnage de poète dans le cadre de l'écriture d'un roman collectif “générationnel” par les élèves du lycée (en perspective croisée avec l'objet d'étude : le roman et ses personnages, visions de l'homme et du monde) : au 3ème trimestre.
– Proposition d'un dossier-enquête de synthèse sur les valeurs “générationnelles” qui servira de base au travail l'écriture du roman d'apprentissage sur la place du sujet dans l’histoire de la communication et des représentations (au 3ème trimestre) : le portrait et l’autoportrait, la formation du regard critique et l'expression de soi par ses choix esthétiques et la création artistique ou comment se dire par ses choix esthétiques sur le thème : « Vertige de l’artiste, entre Narcisse et Prométhée », en perspective croisée avec l'argumentation, les mouvements culturels et artistiques, le roman, le théâtre et la peinture.
Activités / Lectures personnelles :
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"Fonction du poète", Victor Hugo Dieu le veut, dans les temps contraires
Chacun travaille et chacun sert,
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s’en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité !
Le poète en des jours impies*
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d’amour,
Sont faits des ombres de qui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu’importe ! il pense.
Plus d’une âme inscrit en silence
Ce que la foule n’entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles** ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit haut et songe bas !…
Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, 1840
* Jours impies : jours sans foi, où l’on ne croit plus en rien.
** Contempteurs : adversaires qui le méprisent.
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"Correspondances", Baudelaire
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
-- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Baudelaire, Les Fleurs du mal, (1957)
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"Le Confiteor de l'Artiste", Baudelaire
Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! Pénétrantes jusqu'à la douleur ! Car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini.
Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! Une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elle(car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perdi vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions. Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criareds et douloureuses.
Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle me révoltent... Ah! Faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.
Baudelaire, Petits poèmes en prose (1869, édition posthume)
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"Aube", Rimbaud
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall* blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Rimbaud, Illuminations (entre 1872 et 1875)
* wasserfall : cascade (en allemand)
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« Défense du poète », Alain Bosquet
Ecrire un poème, est-ce une trahison,
comme devant la mise à mort d’un innocent
on détourne les yeux ? Aligner quelques mots
qui lâchent le réel pour un gramme d’azur,
est-ce dresser un paravent contre le monde
affolé dans son bain, parmi l’écume noire ?
Traiter sa fable favorite en libellule
par-dessus la rivière, est-ce oublier le pain
qui manque à l’homme ? Remplacer le vrai printemps
par un printemps verbal aux toucans invisibles
qui sont peut-être un peu de feu, est-ce insulter
notre nature ? Aimer une voyelle blanche
comme on aime sa fille, est-ce être dédaigneux
de notre amour universel, qui nous saccage ?
Alain Bosquet, Sonnets pour une fin de siècle (1980)
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SYMBOLE : ce qui représente autre chose en vertu d'une correspondance (cf. Baudelaire, Correspondances);
objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d'idées « naturelle » (dans un groupe social donné) avec quelque chose d'abstrait ou d'absent ; ce qui, en vertu d'une convention arbitraire, correspond à un chose ou à une opération qu'il désigne(définitions du Petit Robert).
Etymologie :
SYM/SYN : élément de la préposition grecque « sun » = « avec » qui marque l'idée de réunion dans l'espace ou le temps.
=> signe de reconnaissance dans l'Antiquité (du grec « sumbolon », d'abord morceau d'un objet partagé entre deux personnes pour servir entre elles de signe de reconnaissance) ; « symbole foi » => « credo »(en latin chrétien).
SYMBOLE et SYMBOLISME : longtemps le mot symbole* a désigné, en art comme en littérature, la représentation d'une idée ou d'une valeur abstraite (la paix, le courage) par une réalité concrète (le rameau d'olivier, le loup). Les poètes qu'on appelle « symbolistes » dans la seconde moitié du XIXème siècle reviennent, eux, au plus près de l'étymologie du mot « symbole » : celui-ci désignait, dans la Grèce antique, une poterie brisée en deux dont deux cités alliées conservaient chacune une moitié, en signe de reconnaissance. Avec Baudelaire et ses successeurs, le symbole devient ainsi la moitié visible d'une réalité qui a sa part obscur, immatérielle, suréelle ou surnaturelle. Le poème sera le lieu où s'opèrera l'acte magique de la « correspondance » entre les fragments séparés de la réalité, de l' « analogie », entre le réel et l'idéal, le dicible et l'indicible => MYTHE et SYMBOLE (perspective croisée roman et poésie).
* Les symboles : la colombe de la paix - la chouette et l'olivier d'Athéna – le poisson – la roue *
« L'Albatros », Baudelaire ; « La Liberté guidant le peuple », Delacroix (allégories)
* la roue (de la Fortune) : figure immémoriale du destin > la fortune qui se chiffre en euros;
« Fortuna » (Antiquité et MA) : symbole de l’instabilité du destin qui vous hisse et vous fait déchoir au gré d’une force divine incontrôlable (carte-clé du Tarot de Marseille : équilibre précaire et mouvement de la vie);
L'« Anankê » (préface des Misérables de Victor Hugo)
L'écriture symboliste :
Chez Baudelaire et ceux qu'il inspira directement, comm Rimbaud, Verlaine ou Mallarmé, cette conviction symboliste passe par l'utilisation de figures et de moyens poétiques privilégiés :
-- le recours aux images qui développent précisément l'analogie et ses puissances évocatrices : la comparaison, l'allégorie et surout la métaphore ou l'oxymore.
-- les effets rythmiques (enjambements, contre-rejets, coupes audacieuses) ou sonores (assonances, allitérations) avec leurs capacités « suggestives » voire « impressionnistes » ;
-- l'invention de nouvelles strophes ou de nouveaux mètres comme les mètres impairs ou le vers libre, affranchi des contraintes de la rime au profit de la scansion de la musique et du rythme.
Un groupe tardif :
Ce n'est que dans les dernières années du XIXème siècle qu'un « groupe » symboliste de poètes mineurs (G. Kahn, Stuart Merrill, F. Vielé-Greffin) se constitue à la fois dans l'entourage de Mallarmé et dans celui de Clarles Moréas, qui publia en 1886 un Manifeste du symbolisme. Mais les réussites majeures du mouvement eurent lieu au théâtre avec Maeterlinck (Pelleas et Mélisande, 1992), en peinture avec les oeuvres mystérieuses d'artistes comme Odilon Redon ou Gustave Moreau et surtout en musique. Plusieurs compositeurs – Debussy, Ravel ou Fauré – s'inspirèrent en effet directement des oeiuvres poétiques de leurs aînés comme Verlaine ou Mallarmé.